Cette tribune a été publiée pour la première fois le 21 novembre 2013 dans Libération. Nous aurions préféré ne pas avoir à la republier aujourd’hui. Cependant, l’acharnement à l’encontre des travailleuses du sexe se poursuit. La proposition de « loi de lutte contre le système prostitutionnel » sera examinée par une commission mixte paritaire le 18 décembre. Si les deux chambres n’arrivent pas à trouver un accord, l’Assemblée nationale aura alors le dernier mot). Si cette loi est votée, c’est dans les vies et la chair des travailleuses du sexe que ses effets se feront ressentir : si les mots peuvent se parer de bonnes intentions en faisant mine de cibler les hommes (les clients), les faits sont têtus, et ce sont bien les femmes qui vivront les conséquences violentes de cette loi.
Nous republions donc cette tribune aujourd’hui, avec le soutien de nouvelles personnalités féministes afin d’affirmer que nos arguments sont les mêmes, et que nous sommes de plus en plus nombreuses à les défendre.
Féministes, donc contre la pénalisation des clients
A l’heure où le gouvernement socialiste veut faire voter une loi de pénalisation des clients des prostituéEs, nous affirmons que la question n’est pas de prendre parti contre ou en faveur de l’abolition de la prostitution mais qu’il est nécessaire de prendre parti en tant que féministes. Parce que vouloir «abolir» la prostitution sans exiger, au préalable et avec le même aplomb, l’abolition de la pauvreté, de l’exploitation et du pillage du Sud par le Nord est au mieux une naïveté, au pire, une imposture. Or, ce gouvernement n’est pas naïf.
En plus de trois ans, nous avons même pu constater sa détermination à renforcer l’exploitation de touTEs et des dominations du Nord sur le Sud. Parce que nous sommes féministes, nous refusons que des femmes soient stigmatisées, discriminées, poussées à l’isolement et à l’invisibilité parce qu’elles se prostituent.
Parce que nous sommes féministes, nous refusons que les femmes se prostituant soient mises en danger parce que contraintes d’exercer dans la clandestinité.
Parce que nous sommes féministes, nous nous opposons à une loi spécifiquement violente à l’égard des femmes prostituéEs étrangères, et des femmes sans-papiers en particulier. Parce que nous sommes féministes, nous refusons que les prostituéEs soient mises en difficulté pour imposer leurs conditions, notamment le port du préservatif. Parce que nous sommes féministes, nous refusons que les prostituéEs soient exposées à la contamination au VIH et autres IST (infections sexuellement transmissibles) parce qu’éloignées des associations communautaires de santé, de lutte contre le sida et d’accès aux droits.
Parce que nous sommes féministes, nous refusons un projet de loi qui fait primer la répression sur de véritables mesures politiques, économiques et sociales pour lutter contre la domination masculine, la pauvreté, le chômage et la précarité des femmes.
Parce que nous sommes féministes, nous refusons de parler à la place des premières concernées.
Signataires :
Elsa Aloisio réalisatrice
Alice Barnole actrice
Marie-Hélène Bourcier sociologue
Rachele Borghi géographe
Judith Butler philosophe
Sarah Chiche écrivaine et psychanalyste
Wendy Delorme écrivaine
Virginie Despentes écrivaine et réalisatrice
Rokhaya Diallo éditorialiste
Gwen Fauchois blogueuse et activiste
Sylvia Federici professeure émérite et féministe à l’université Hofstra
Amandine Gay comédienne-réalisatrice et afroféministe
Françoise Guillemaut sociologue
Hélène Hazera productrice radio et ex-putain
Selma James écrivaine et militante
Emilie Jouvet réalisatrice et photographe
Karimouche chanteuse auteure-interprète
Fatima Khemilat politologue
Sophie Labelle auteure de livres jeunesse
Sophie-Marie Larrouy comédienne
Elisabeth Lebovici critique d’art
Frédérique Ménant réalisatrice
Amélie Nothomb écrivaine
Océane Rose Marie auteure et comédienne
Ovidie auteure et réalisatrice
Paul B. Préciado commissaire à la Documenta 14
Rayhana auteure et comédienne
Peggy Sastre auteure
Amina Sboui
Judith Silberfeld rédactrice en chef de «Yagg»
Soko auteure-compositeure-interprète et comédienne
Joy Sorman auteure
Anne Souyris journaliste et militante
Brigitte Sy actrice et réalisatrice
Tanxxx artiste
Sylvie Tissot sociologue
Françoise Vergès politologue.